occasions manquées


Santé, une loi cumulant les occasions manquées
Députés et sénateurs ont entériné plusieurs modifications de la loi Hôpital, patients, santé et territoires qui marquent un recul sur la démographie médicale et les dépassements d'honoraires.

L'assemblée nationale et le Sénat devaient définitivement voter, cette semaine, la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoire), huit mois après le début de l'examen du texte par les députés. Le 16 juin, la CMP (Commission mixte paritaire) a apporté les dernières modifications au projet de loi, substantiellement modifié après l'examen des deux chambres. La durée de la procédure parlementaire a entraîné une première décision de la CMP prévoyant la possibilité de reporter à juillet 2010 la mise en place des ARS (Agences régionales de santé).
La CMP avait également à se prononcer sur la gouvernance des hôpitaux, qui a focalisé l'attention lors des débats au Sénat. Les nouveaux pouvoirs accordés aux directeurs par le projet de loi initial ont mis les médecins hospitaliers dans la rue. Ils étaient parfois suivis par plusieurs organisations de salariés qui ont oublié les budgets toujours plus restrictifs votés par ces mêmes médecins dans leurs établissements, au détriment des autres catégories de personnel. Mais les sénateurs ont écouté les arguments des médecins et renforcé leur poids dans le fonctionnement de l'hôpital.

Les personnels sont les grands absents de la loi.
Les recommandations du rapport Marescaux sur les CHU (Centres hospitaliers universitaires), remis en cours de discussion au Sénat, ont été partiellement intégrées dans le texte par des amendements du gouvernement. Le directeur sera donc encadré de trois vice-présidents du directoire. La Commission médicale d'établissement se voit associée aux décisions du directeur concernant le recrutement des chefs de pôle, et le conseil de surveillance sera consulté sur les questions budgétaires.
Mais, pour Michel Rosenb1att,secrétaire général du Syncass, syndicat CFDT des directeurs d'établissement, le résultat de ces concessions n'est pas satisfaisant : «Paradoxalement, le projet de loi crée deux instances à majorité médicale, le directoire et la Commission médicale d'établissement et organise ainsi inutilement une incohérence» Il souligne aussi les nombreux effets pervers de ces débats, qui ont eu pour conséquence de «détourner les réflexions des enjeux du nouveau pilotage régional, en occupant les esprits à des querelles de clocher, certes importantes, mais qui n'étaient pas le premier sujet pour l'avenir de l'hospitalisation publique. La loi méritait bien d'autres débats, sur la conception de ce qu’est le service public et sur sa mise en œuvre, sur les répartitions entre le public et le privé, sur les recrutements de médecins, sur les rémunérations ... », Surtout, « un acteur essentiel de l'hôpital a été oublié dans le débat. On l'a peu souligné, les personnels sont les grands absents de la loi, et c’est un grave facteur d'échec».

Le texte final aboutit à une autre déception concernant les dépassements d'honoraires. La CMP renvoie la question aux négociations entre 1Assurance-ma1adie et les organisations de médecins libéraux sur l'élaboration d'un secteur optionnel, qui devront aboutir au 15 octobre 2009. Au-delà de cette date, les dépassements seront réglementés par arrêté ministériel et repris dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. En revanche, les cliniques privées qui exercent des responsabilités de service public, et en situation de monopole, peuvent imposer à leurs médecins 30% de leur activité au tarif opposable. L’assemblée nationale avait adopté un amendement qui allait plus loin, puisqu'il prévoyait que les Agences régionales de santé puissent imposer à ces cliniques un nombre minimal d'actes au tarif Sécu.

Le Sénat a supprimé cet article. « La liberté d'honnoraires aurait-elle une valeur supérieure à l'accès aux soins lorsque des patients doivent renoncer ou retarder des soins car ils n'ont pas les moyens de régler les dépassements, tandis que d'autres s’endettent pour y faire face ?» demande Michel Régereau, président CFDT de la Caisse nationale d'assurance-maladie. En attendant des mesures plus restrictives, le Sénat se contente de renvoyer la décision de sanction au Conseil de l'ordre « en cas de récidive ».
Toujours en matière d'accès aux soins, la loi ne prévoit plus la possibilité de pratiquer le testing téléphonique afin de détecter les médecins qui refusent des rendez-vous à certains patients, notamment aux bénéficiaires de la CMU.

En ce qui concerne la démographie médicale, la situation ne s'améliorera sans doute pas grâce à cette loi, malgré la seule mesure adoptée en ce sens. Il s'agit de rendre « obligatoire le contrat santé-solidarité par lequel le médecin exerçant en zone sur-dense s'engage à contribuer à répondre aux besoins de santé de la population des zones où les besoins en implantations ne sont pas satisfaits », Les médecins qui ne se plient pas à cette obligation . seraient passibles d'une amende de 3000€.Gros bémol : cette mesure ne s'appliquerait pas avant... 2013 ! Les oasis ne sont pas près d'apparaître au milieu des déserts médicaux. « Comme s'il n'y avait pas urgence, au motif que la liberté d'installation ne saurait se plier aux besoins de soins, déclare Michel Régereau. Pourtant, dans certains départements, des diabétiques ont les plus grandes difficultés à accéder à un ophtalmologue et, dans certains cantons, les généralistes "médecins de premier recours n deviennent rares, y compris dans des cantons bien pourvus en écoles et commerces. »

Avant la réunion de la Commission mixte paritaire, la Confédération avait également porté l'attention sur la suppression de la mission de veille accordée aux ARS concernant la répartition territoriale de l'offre de soins. Ce point n'a pas été modifié. Le Sénat a supprimé un dispositif prévoyant la mise en place par 1:ARS, trois ans après la publication de la loi, d'un schéma d'organisation de la permanence des soins mobilisant les médecins d'exercice libéral et les établissements.
Frédéric Delaporte


Dépassements d'honoraires, une pratique hétéroclite
Les dépassements sont autorisés dans certains cas, le code de déontologie prévoyant de les appliquer «avec tact et mesure ». Une notion pas toujours respectée par les praticiens.

La convention médicale prévoit plusieurs types de dépassements des honoraires au tarif opposable. Certains sont occasionnels et s'appliquent aux médecins du secteur l, qui s'engagent à appliquer les tarifs Sécu en échange d'une prise en charge de certaines cotisations par 1’assurance maladie.Il s'agit des dépassements autorisés (DA), prévus dans le cadre du parcours de soins mis en place en 2005. Ils autorisent les spécialistes du secteur 1 à augmenter les tarifs prévus si le patient les consulte hors du parcours de soins coordonné. Cette augmentation est plafonnée. Autre cas: les dépassements demandés « en cas de circonstances exceptionnelles de temps ou de lieu dues à une exigence particulière du malade, non liée à un motif médical », Ce cas était déjà prévu dans la première convention nationale de 1971. Ce dépassement (DE) n'est pas plafonné, et le peu d'encadrement de son application donne lieu à de nombreuses dérives, observées par l'Igas dans un rapport publié il y a deux ans.

Des droits permanents en Secteur 2.
Il existe également des droits permanents à dépassement d'honoraires. Il s'agit pour l'essentiel du secteur 2, qui permet au praticien d'appliquer les tarifs qu'il souhaite. Ce secteur est ouvert aux médecins qui s'installent pour la première fois ou qui disposent de diplômes ou de compétences particulières.
En principe, l'application des dépassements d'honoraires aux patients bénéficiaires de la Couverture maladie universelle complémentaire est interdite, mais les médecins peuvent demander le DE (exigence particulière du patient) ou le DA (consultation hors parcours coordonné), ces dépassements n'étant pas cumulables.

En 2007, l'Igas proposait déjà plusieurs pistes pour limiter ces dépassements, qui sont devenus une habitude chez les spécialistes, avec de fortes variations géographiques au sein d'une même spécialité. Les auteurs du rapport relevaient « qu'une majorité de patients est aujourd'hui confrontée à des dépassements d'honoraires dont les montants peuvent être élevés ». Ils appelaient alors l'Uncam et les organisations de médecins à étudier leurs scénarios, allant d'une meilleure information et de contrôles accrus à une suppression pure et simple des dépassements. Cette dernière solution parait inenvisageab1e, mais les partenaires conventionnels disposent à présent de cinq mois pour étudier toutes les autres pistes, dont une modulation ou un plafonnement des dépassements.
F.D.