Faute de participation active des organisations syndicales à la démarche, la responsabilité sociale et environnementale peut s'apparenter à du « greenwashing ». Une responsabilité, donc, mais aussi une opportunité pour le syndicalisme CFDT.
Pour la Fédération chimie-énergie CFDT, la responsabilité sociale des entreprises est un enjeu de congrès ». indique Jean-François Renucci, secrétaire général de la fédération, dont la résolution de Clermont-Ferrand, en 2008, appelle,
« du local à l'international, [à] anticiper et agir partout ».
L’accord de responsabilité sociale et environnementale reconduit à la mi-février par le groupe chimique Rhodia - dont le PDG, Jean-Pierre Gamadieu, est par ailleurs chargé du développement durable au Medef, en pointe pour limiter les engagements du Grenelle de l'environnement sur le reporting extra financier des entreprises- s'inscrit dans cette logique. Signé en 2005 entre Rhodia et la Fédération internationale des syndicats de travailleurs de la chimie, de l'énergie, des mines et des industries diverses (ICEM) et renouvelé en 2008, il vient d'être reconduit pour cinq ans.
Au-delà des entreprises, un défi syndical. Une véritable opportunité pour un groupe qui emploie 14000 salariés sur soixante cinq sites répartis dans vingt-cinq pays, estime Jacques Kheliff, directeur du développement durable chez Rhodia:
«Le développement durable, ce n’est pas la fin de l'industrie, mais l'occasion d'un renouveau. L’industrie a un rôle clé à jouer afin de développer des solutions nouvelles pour ses salariés comme pour ses clients. Cela suppose de sortir des postures et â engager un véritable dia, logue avec tous les acteurs sur l'ensemble des défis qui nous sont posés. »Une opportunité syndicale aussi?
C'est la conviction de Kemal Özkan, de l'ICEM: «Au lieu d'avoir des engagements de papier, les indicateurs inscrits à l'accord permettent une mise en œuvre concrète jusqu'à la périphérie des entreprises. Mais cela suppose la participation active des organisations syndicales nationales. » Chez Rhodia, la FCE-CFDT - qui fait 32 % aux élections professionnelles, derrière la CGT (36 %) mais devant la CFE-CGC (18 %) - a été le «promoteur de l'émergence de cet accord mondial», indique son secrétaire général, Jean-François Renucci.
Elle participe à sa mise en œuvre, en particulier par l'implication du secrétaire CFDT du CEE (comité d'entreprise européen), Maurice Tritsch, qui représente la zone Europe au sein du Global Safety Panel. Dans le cadre de cette instance, des visites de site sont effectuées régulièrement en vue de vérifier la mise en œuvre' de la politique de sécurité du groupe à travers le monde.
Un petit pas pour les uns, un vrais plus pour d'autres. Sur le terrain, militants et salariés perçoivent-ils l'intérêt de la RSE?
«Cet accord est un point d'appui dans notre action syndicale, estime Maurice Tiitsch. Certes, il est peu connu des salariés dans son détail. Mais il doit servir au CHSCT, au comité d’entreprise, aux délégués du personnel à mobiliser les directions locales et la hiérarchie sur ces questions de RSE Le rappel à ces engagements doit se faire au jour le jour dans la négociation. » Il en vade la solidarité entre salariés, plaide Jean-François Renucci :
« Pour les salariés d'un groupe de dimension internationale, c’est la garantie que chacun a accès à un socle de droits en matière de protection sociale, d'accès à la formation, de protection face aux risques, etc. Alors, certes, pour les salariés en France, cela peut paraître un petit pas, mais cest un véritable plus pour leurs collègues à l'autre bout du monde. » En ce sens, une telle démarche constitue une forme de garantie contre
« la tentation du dumping social » qui concerne de ce fait
« plus ou moins directement le quotidien des salariés », estime Christophe Quarez, délégué fédéral chargé de l'international à la FCE-CFDT.
Et il en va de la responsabilité syndicale elle-même:
« De multiples sous-traitants se greffent sur la chaîne de valeur des grands groupes multinationaux qui entrent dans notre champ professionnel. La RSE est donc le moyen d'avoir une influence positive sur la vie au travail de très nombreux salariés. Pour nous, syndicalistes, elle représente l'opportunité de toucher des salariés qui n'ont pas forcément de représentants du personnel, même s'il reste difficile de le valoriser directement auprès deux. »
Culture de l'efficacité et de suivi des accords. Des leviers d'action majeurs qui, de l'aveu même du délégué fédéral, restent
« encore insuffisamment utilisés ». De l'avis du secrétaire confédéral Olivier Ber¬ducou,
« la question du portage de tels accords se pose nécessairement. La mobilisation est d'autant plus forte sur le terrain que les acteurs syndicaux ont été associés à la démarche ». Marc Ferrons, secrétaire du CDRS (Comité de dialogue sur la responsabilité sociale) chez EDF, abonde en ce sens. Chez l'électricien, un accord de RSE a été signé en 2005 - et renégocié en 2009 - par trois fédérations mondiales ainsi que tous les acteurs syndicaux nationaux. Il couvre 110000 salariés.
« Chacun s’est senti investi et partie prenante dans le déploiement et le suivi de la RSE. C'est la force de cet accord. » L’objectif étant,
« au-delà de la signature, d'être dans une culture de l'efficacité et de suivi des accords».
C'est au sujet de la sous-traitance que la RSE a sans doute eu ses effets les plus visibles. Un accord relatif à la sous-traitance socialement responsable au sein d'EDF SA a ainsi été signé dans la foulée.
« Avec l'entretien et la construction de centrales, c’est le nerf de la guerre chez nous, explique Marc Ferron. Il fallait une vraie politique. »
Réduire les inégalités entre les salariés. L'accord impose ainsi d'évaluer les fouisseurs sur différents points: formation, hébergement, dynamique sociale, santé, sécurité, sous-traitance de second rang ...
« Les représentants des salariés des sites doivent nous alerter sur les éventuels manquements à ces engagements ; en cas de dérives, EDF peut supprimer l'entreprise de la liste de ses sous-traitants.. Pour la CFDT, outre un véritable potentiel de syndicalisation, c'est « la réduction des inégalités entre salariés » qui est en jeu.
Cependant, la démarche R5E ne va pas toujours de soi pour des équipes très sollicitées. 5elon le secrétaire confédéral Olivier Berducou, c'est davantage du point de vue de la méthode qu'il faut penser la RSE :
« Cela incite à renouveler la méthode de travail d'une section en inscrivant les dossiers dans leur environnement global.» Dialoguer avec la section CFDT de l’entreprise voisine, faire le lien, au niveau du syndicat ou de la structure inter professionnelle de proximité, avec les salariés du sous traitant qui s'inscrit dans la même chaîne de valeur, penser les évolutions professionnelles également en terme de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et compétences) territoriale sont autant de pratiques concrètes de RSE.
Une réponse à la quête de sens. Le cahier revendicatif d'une section gagne également à s'inscrire dans cette démarche, estime Olivier Berducou :
« Penser la relation entre vie professionnelle et vie privée, la relation de l'entreprise à son environnement, c'est également une manière de répondre à la demande de sens des salariés » Une logique à laquelle les jeunes générations entrant sur le marché du travail sont plus sensibles encore que leurs aînés.
« La RSE permet de redynamiser une section autour d'un projet global de long terme ». avance le secrétaire confédéral. En associant d'autres parties prenantes - riverains, associations, sous-traitants -, la démarche permet aussi de sortir du face-à-face avec les directions qui tendent à vouloir institutionnaliser l'activité syndicale.
« Faire la connexion entre RSE et syndicalisme de terrain » est donc bien un enjeu majeur.
Aurélie Seigne